Si je souhaite être prudent sur l'évènement précis en question (et renvoyer aux recommandations de l'OMS sur la prévention du suicide et par exemple à ces ressources), je me suis senti interpellé à juste titre.
Cela fait trop longtemps que nous faisons tourner l'Université tant bien que mal, ou plutôt plus mal que bien, envers et contre toutes les politiques d'austérité et les injonctions à l'excellence, à la différenciation, à la compétition, à l'individualisation dont nous voyons quotidiennement les effets concrets. Trop longtemps que nous nous demandons, devant le tableau Excel dont le CROUS a besoin pour savoir lesquelles de nos étudiantes et étudiants boursiers étaient assidus, ce que pèsent et ce que causent une trop grande franchise ou un mensonge. Le minimum que nous devons à nos étudiantes et étudiants, à nous-mêmes, est de témoigner.
Comme tout point de vue, le mien est partiel et il est peut-être utile de préciser d'où je parle. Après une scolarité et des études dans des conditions idéales (d'un lycée de centre-ville à une École Normale Supérieure) j'ai eu la chance de voir mon travail de thèse assez reconnu pour obtenir un poste de maître de conférence dans une grande université de province, avant de devenir professeur en mathématique à l'Université Paris-Est Créteil ; je précise que c'est un parcours relativement commun au moins parmi mes collègues mathématiciennes et mathématiciens. J'ai beaucoup enseigné en première année de licence (y compris en travaux dirigés), en première année de master Meef (formation des enseignantes et enseignants) dont je suis responsable, et j'enseigne en ce moment une partie significative de mon service en deuxième année de licence.
- des étudiantes et étudiants qu'on groupe par 40 ou 50, dans des salles parfois trop petites pour tous les asseoir puisque les formations comptent maintenant sur l'absentéisme pour fonctionner ;
- des étudiantes et étudiants dont le plus souvent nous ne connaissons même pas les noms, situation qui nous rend le plus souvent incapables de les aider ou les aiguiller en cas de difficulté ;
- des étudiantes et étudiants qui peinent à croire que leurs études (et leur enseignantes et enseignants) valent grand chose, vu la réputation de l'Université et le délabrement des locaux et des conditions dans lesquels on les accueille ;
- des étudiantes et étudiants sans logement, qui finissent par disparaître de nos formations malgré parfois un très bon niveau, tout simplement parce qu'ils doivent d'abord s'occuper de survivre ;
- des étudiantes et étudiants étrangers, dont la reconnaissance est telle quand on accepte de leur écrire une lettre de soutien pour leur demande de titre de séjour qu'on comprend en creux à quel point la politique du chiffre (de reconduites à la frontière) des préfectures les précarise institutionnellement et émotionnellement ;
- à chaque séance ou presque, des étudiantes et étudiants qui demandent à pouvoir partir plus tôt pour aller à leur travail (sachant que le travail total nécessaire à leurs études, exigeantes, correspond à un gros plein temps regroupé sur 26 à 30 semaines d'enseignement et de révision -- comment réussir avec un travail en plus ?) ;
- des stratégies multiples pour maintenir l'illusion d'un système qui fonctionne : remonter nos notes est courant, moins pour aider les étudiantes et étudiants que nous trompons ainsi sur leurs chances de succès l'année suivante que pour cacher notre échec à faire passer ce que nous espérions enseigner.
- de donner aux étudiantes et étudiants les moyens financiers de suivre leurs études sans s'inquiéter de leur prochain loyer ou de leur prochain repas ;
- d'accueillir sans suspicion, sur des titres de séjours de plusieurs années, les étudiantes et étudiants étrangers qu'ils viennent de pays riches ou moins riches ;
- de donner aux universitaires, aux équipes pédagogiques les moyens financiers et humains de dispenser les séances de travaux dirigés en groupes de taille modérée et d'accompagner les étudiantes et étudiants, dans des locaux salubres, avec un recours marginal aux heures complémentaires.