Bien sûr, je triche un peu dans ce titre ; la conjecture dont il est question porte sur des questions de mesures invariantes pour certains systèmes dynamiques qui consistent simplement à multiplier un angle par une constante entière.
Applications dilatantes du cercle
On considère les applications très simples définies sur le cercle $\mathbb{R}/\mathbb{Z}$ dans lui-même par
\[\times_d: x \mapsto dx \mod 1\]
où $d$ est un entier. Ce sont des cas très particuliers d'applications dilatantes : localement, elles dilatent les distances (mais ce phénomène n'est que local puisqu'elles ne sont pas injectives ; topologiquement, ce sont des auto-revêtement du cercle de degré $d$).
Comme souvent, ces applications simples engendrent une dynamique compliquées : si on considère un point de départ $x_0$ et qu'on lui applique $\times_d$ un grand nombre de fois, l'orbite obtenue peut avoir des comportements très variés. En particulier, $\times_d$ a de très, très nombreuses mesures invariantes. La plus évidente est la mesure de Lebesgue (l'aspect dilatant de l'application « dilue » la mesure, mais ceci est exactement compensé par le nombre d'antécédent de chaque point). Il y a bien sûr des mesures atomiques, par exemple $\delta_0$ puisque $0$ est un point fixe. Il y a également beaucoup de mesures invariantes de support total mais étrangères à la mesure de Lebesgue (et entre elles). Un tout petit échantillon est fourni par les mesures dites de Bernoulli. Elles sont obtenues de la façon suivante: on choisit une mesure de probabilité $\nu$ sur l'ensemble fini $\{0,1,\dots,d-1\}$, on considère des variables aléatoires $X_1,X_2,\dots$ indépendantes et identiquement distribuées de loi $\nu$, et on considère le nombre aléatoire $X\in [0,1]$ dont le $i$-ième chiffre après la virgule en base $d$ est $X_i$. La loi $\mu$ de $X$ est alors une mesure de probabilité invariante sous l'action de $\times_d$. Par exemple si $\nu$ est la mesure uniforme, alors $\mu$ est la mesure de Lebesgue. Elles sont supportées sur les ensembles dont la distribution des chiffres suit les différentes lois $\nu$ possibles, donc sont deux à deux étrangères. En fait, elles sont même ergodiques ; mais il existe encore bien plus de mesures ergodiques pour $\times_d$ !
\[\times_d: x \mapsto dx \mod 1\]
où $d$ est un entier. Ce sont des cas très particuliers d'applications dilatantes : localement, elles dilatent les distances (mais ce phénomène n'est que local puisqu'elles ne sont pas injectives ; topologiquement, ce sont des auto-revêtement du cercle de degré $d$).
Comme souvent, ces applications simples engendrent une dynamique compliquées : si on considère un point de départ $x_0$ et qu'on lui applique $\times_d$ un grand nombre de fois, l'orbite obtenue peut avoir des comportements très variés. En particulier, $\times_d$ a de très, très nombreuses mesures invariantes. La plus évidente est la mesure de Lebesgue (l'aspect dilatant de l'application « dilue » la mesure, mais ceci est exactement compensé par le nombre d'antécédent de chaque point). Il y a bien sûr des mesures atomiques, par exemple $\delta_0$ puisque $0$ est un point fixe. Il y a également beaucoup de mesures invariantes de support total mais étrangères à la mesure de Lebesgue (et entre elles). Un tout petit échantillon est fourni par les mesures dites de Bernoulli. Elles sont obtenues de la façon suivante: on choisit une mesure de probabilité $\nu$ sur l'ensemble fini $\{0,1,\dots,d-1\}$, on considère des variables aléatoires $X_1,X_2,\dots$ indépendantes et identiquement distribuées de loi $\nu$, et on considère le nombre aléatoire $X\in [0,1]$ dont le $i$-ième chiffre après la virgule en base $d$ est $X_i$. La loi $\mu$ de $X$ est alors une mesure de probabilité invariante sous l'action de $\times_d$. Par exemple si $\nu$ est la mesure uniforme, alors $\mu$ est la mesure de Lebesgue. Elles sont supportées sur les ensembles dont la distribution des chiffres suit les différentes lois $\nu$ possibles, donc sont deux à deux étrangères. En fait, elles sont même ergodiques ; mais il existe encore bien plus de mesures ergodiques pour $\times_d$ !
La conjecture de Furstenberg
Le décors étant planté, on peut énoncer l'objet de cette note.
Conjecture (Furstenberg 1967) - Soit $\mu$ une mesure de probabilité sans atome, simultanément invariante sous l'action de $\times_2$ et $\times_3$. Alors $\mu$ est la mesure de Lebesgue.
Furstenberg énonce cette conjecture motivé par le résultat analogue qu'il démontre pour les fermés invariant: un fermé infini invariant par $\times_2$ et $\times_3$ est le cercle tout entier (Math. Systems Theory 1 1967 1–49) . En particulier, une mesure vérifiant les hypothèses de la conjecture doit avoir support total ; mais c'est le cas de beaucoup de mesures !
En fait, l'énoncé est plus général : $2$ et $3$ devraient pouvoir être remplacés par n'importe quelle paire d'entiers multiplicativement indépendants (c'est-à-dire, qui ne soient pas des puissances entières d'un même entier).
Conjecture (Furstenberg 1967) - Soit $\mu$ une mesure de probabilité sans atome, simultanément invariante sous l'action de $\times_2$ et $\times_3$. Alors $\mu$ est la mesure de Lebesgue.
Furstenberg énonce cette conjecture motivé par le résultat analogue qu'il démontre pour les fermés invariant: un fermé infini invariant par $\times_2$ et $\times_3$ est le cercle tout entier (Math. Systems Theory 1 1967 1–49) . En particulier, une mesure vérifiant les hypothèses de la conjecture doit avoir support total ; mais c'est le cas de beaucoup de mesures !
En fait, l'énoncé est plus général : $2$ et $3$ devraient pouvoir être remplacés par n'importe quelle paire d'entiers multiplicativement indépendants (c'est-à-dire, qui ne soient pas des puissances entières d'un même entier).
Le théorème de Rudolph
Si la conjecture de Furstenberg est encore essentiellement ouverte, on dispose d'un résultat partiel intéressant dû à Rudolph.
Théorème (Rudolph 1990) - Soit $\mu$ une mesure de probabilité sans atome, simultanément invariante sous l'action de $\times_2$ et $\times_3$. Si $\mu$ a de l'entropie pour $\times_2$ ou $\times_3$, alors $\mu$ est la mesure de Lebesgue.
La conjecture de Furstenberg est donc résolue sous une hypothèse supplémentaire, de nature dynamique. Mais les applications dilatantes possèdent aussi beaucoup de mesures invariante sans entropie.
Théorème (Rudolph 1990) - Soit $\mu$ une mesure de probabilité sans atome, simultanément invariante sous l'action de $\times_2$ et $\times_3$. Si $\mu$ a de l'entropie pour $\times_2$ ou $\times_3$, alors $\mu$ est la mesure de Lebesgue.
La conjecture de Furstenberg est donc résolue sous une hypothèse supplémentaire, de nature dynamique. Mais les applications dilatantes possèdent aussi beaucoup de mesures invariante sans entropie.
Une version infinitésimale
Je me suis intéressé à la conjecture de Furstenberg en réfléchissant à des questions de transport optimal. Je ne vais pas décrire ce sujet en détail, mais disons qu'il s'agit d'une théorie étudiant un certain type de distances entre mesures de probabilités. En particulier, le transport optimal permet de munir l'ensemble de toutes les mesures de probabilité du cercle d'une mesure naturelle (qui métrise la topologie faible) ; mieux, cette distance est compatible avec une sorte de structure différentielle (soulignée par Otto et formalisée, dans le contexte qui m'intéresse ici, par Gigli). Cette structure permet de définir et d'interpréter la notion de différentielle d'une application agissant sur les mesures, on peut donc espérer utiliser le calcul différentiel pour approcher des questions sur les mesures.
Notons $(\times_d)_\#$ l'application qui à une mesure de probabilité associe son image par $\times_d$ ; on peut tout d'abord se demander si $(\times_d)_\#$ est différentiable. J'ai montré que la réponse est positive au moins en un point, la mesure de Lebesgue. De plus, on peut calculer explicitement cette différentielle et en étudier le spectre.
On peut alors se demander si une version infinitésimale de la conjecture de Furstenberg est vraie : notons$\lambda$ la mesure de Lebesgue.
Question - Soit $v$ un vecteur tangent à l'espace des mesures du cercle au point $\lambda$, simultanément invariant par les différentielles de $(\times_2)_\#$ et $(\times_3)_\#$. A-t-on nécessairement $v=0$ ?
À ma surprise, la réponse s'est révélée négative (et de loin !)
Théorème - Les vecteurs tangents à l'espace des mesures du cercle au point $\lambda$ simultanément invariants par les différentielles de $(\times_2)_\#$ et $(\times_3)_\#$ forment un espace vectoriel de dimension infinie. Les vecteurs tangents à l'espace des mesures du cercle au point $\lambda$ simultanément invariants par les différentielles de tous les $(\times_d)_\#$ forment un espace vectoriel de dimension $2$.
Un truc amusant est que je n'ai pas remarqué ceci avant de rédiger mon habilitation à diriger des recherche (c'est donc le seul texte à contenir ce résultat pour l'instant), mais depuis que je l'ai remarqué, c'est devenu un de mes chouchous.
Si on rêve un peu, on peut vouloir étendre un de ces vecteurs invariant en champ de vecteurs invariant : si c'était possible, la courbe intégrale issue de $\lambda$ fournirait un grand nombre de contre-exemples à la conjecture de Furstenberg ! Toutefois, cela paraît assez improbable ; par exemple, on sait déjà que ce n'est pas possible pour l'invariance sous tous les $\times_d$.
Notons $(\times_d)_\#$ l'application qui à une mesure de probabilité associe son image par $\times_d$ ; on peut tout d'abord se demander si $(\times_d)_\#$ est différentiable. J'ai montré que la réponse est positive au moins en un point, la mesure de Lebesgue. De plus, on peut calculer explicitement cette différentielle et en étudier le spectre.
On peut alors se demander si une version infinitésimale de la conjecture de Furstenberg est vraie : notons$\lambda$ la mesure de Lebesgue.
Question - Soit $v$ un vecteur tangent à l'espace des mesures du cercle au point $\lambda$, simultanément invariant par les différentielles de $(\times_2)_\#$ et $(\times_3)_\#$. A-t-on nécessairement $v=0$ ?
À ma surprise, la réponse s'est révélée négative (et de loin !)
Théorème - Les vecteurs tangents à l'espace des mesures du cercle au point $\lambda$ simultanément invariants par les différentielles de $(\times_2)_\#$ et $(\times_3)_\#$ forment un espace vectoriel de dimension infinie. Les vecteurs tangents à l'espace des mesures du cercle au point $\lambda$ simultanément invariants par les différentielles de tous les $(\times_d)_\#$ forment un espace vectoriel de dimension $2$.
Un truc amusant est que je n'ai pas remarqué ceci avant de rédiger mon habilitation à diriger des recherche (c'est donc le seul texte à contenir ce résultat pour l'instant), mais depuis que je l'ai remarqué, c'est devenu un de mes chouchous.
Si on rêve un peu, on peut vouloir étendre un de ces vecteurs invariant en champ de vecteurs invariant : si c'était possible, la courbe intégrale issue de $\lambda$ fournirait un grand nombre de contre-exemples à la conjecture de Furstenberg ! Toutefois, cela paraît assez improbable ; par exemple, on sait déjà que ce n'est pas possible pour l'invariance sous tous les $\times_d$.
Quelques lectures en ligne sur le sujet
- MathOverflow contient notamment une question concernant une approche pour des semi-groupes assez gros, via les séries de Fourier, et une bibliographie.
- Carlos Mattheus explique sur son blog une preuve d'une version faible du théorème de Rudolph.