Dans cette note j'explique un vote récent de l'Institut Fourier, laboratoire de recherche en mathématiques fondamentales, concernant les abonnements aux journaux publiés par Springer.
Le contexte : 2012-2014
En ce moment ont lieu des négociations nationales entre le consortium Couperin.org, représentant un grand nombre d'institutions françaises (universités, établissements de recherches), et la maison d'édition Springer.
Les précédentes négociations, menées fin 2011, ont abouti à un contrat pour la période 2012-2014 qui, bien que dans la continuité des contrats précédents, a été désapprouvé par une grande partie de la communauté mathématique Française. En effet, un « Appel pour des négociations équilibrées avec les éditeurs de revues scientifiques » lancé par l'Institut Fourier avait à l'époque réuni plus de 1300 signatures individuelles et des dizaines de signatures de laboratoires de recherche. La raison de cette désapprobation vient essentiellement de deux types de clauses de ce contrat : d'une part une augmentation des prix fixée nettement au-delà de l'inflation, d'autre part une interdiction de se désabonner d'une partie des titres, dits « gagés », à moins de se réabonner pour un montant au moins équivalent pour compenser. Le contrat prévoie donc que les bibliothèques s'engagent sur sa durée à maintenir un certain niveau de dépense chez Springer (quelles que puissent être par ailleurs l'évolution de leur budget, la création de journaux intéressants chez d'autres éditeurs, etc.) Pour un contrat de 3 ans, ça peut paraître équilibré, mais c'est en fait très problématique pour deux raisons :
Les précédentes négociations, menées fin 2011, ont abouti à un contrat pour la période 2012-2014 qui, bien que dans la continuité des contrats précédents, a été désapprouvé par une grande partie de la communauté mathématique Française. En effet, un « Appel pour des négociations équilibrées avec les éditeurs de revues scientifiques » lancé par l'Institut Fourier avait à l'époque réuni plus de 1300 signatures individuelles et des dizaines de signatures de laboratoires de recherche. La raison de cette désapprobation vient essentiellement de deux types de clauses de ce contrat : d'une part une augmentation des prix fixée nettement au-delà de l'inflation, d'autre part une interdiction de se désabonner d'une partie des titres, dits « gagés », à moins de se réabonner pour un montant au moins équivalent pour compenser. Le contrat prévoie donc que les bibliothèques s'engagent sur sa durée à maintenir un certain niveau de dépense chez Springer (quelles que puissent être par ailleurs l'évolution de leur budget, la création de journaux intéressants chez d'autres éditeurs, etc.) Pour un contrat de 3 ans, ça peut paraître équilibré, mais c'est en fait très problématique pour deux raisons :
- d'une part les tarifs de Springer sont en moyenne très élevés, même en comparant à des journaux de qualité scientifique comparable (et surtout si on prend en compte la qualité des services proposés par Springer en terme de mise en forme et de conception !);
- d'autre part à chaque renouvellement de contrat, Springer (conformément aux pratiques des autres grandes maisons d'édition) refuse systématiquement d'envisager la moindre baisse des montants « gagés ». Cette contrainte financière est donc reconduite (et amplifiée par les augmentations de prix) depuis de très nombreuses années.
Le contexte récent : le contrat 2015
Nous voici donc en 2014, où les négociations pour le prochain contrat commencent. Comme le temps est déjà compté, la décision est prise entre négociateurs de proposer une reconduction du contrat précédent pour l'année 2015, avec une augmentation modique (de presque 3% tout de même). L'année ainsi « gagnée » sera (bien sûr) mise à profit pour négocier un nouveau modèle économique.
Toutefois, comparé à la situation de fin 2011-début 2012, il y a une différence importante dans les partenaires amenés à signer ce nouveau contrat : les vingt à trente bibliothèques de mathématiques qui ont gardé dans leur propre portefeuille les abonnements Springer (c'est-à-dire, dont la bibliothèque universitaire centrale -SCD dans la jargon- n'a pas récupéré la gestion des titres mathématique chez cet éditeur) sont maintenant signataires du contrat (ce qui est logique puisqu'elles payent sur leur budget ; je ne sais pas exactement pourquoi elles ne l'étaient pas dans le précédent contrat, mais le fait est que nos tutelles nous ont engagées à payer sur notre budget sans nous demander notre avis, ou en l'ignorant). En ce moment même, Couperin.org demande aux futurs signataires de confirmer dans une « lettre d'intention » leur volonté de reconduire le contrat dans les mêmes termes pour un an.
Toutefois, comparé à la situation de fin 2011-début 2012, il y a une différence importante dans les partenaires amenés à signer ce nouveau contrat : les vingt à trente bibliothèques de mathématiques qui ont gardé dans leur propre portefeuille les abonnements Springer (c'est-à-dire, dont la bibliothèque universitaire centrale -SCD dans la jargon- n'a pas récupéré la gestion des titres mathématique chez cet éditeur) sont maintenant signataires du contrat (ce qui est logique puisqu'elles payent sur leur budget ; je ne sais pas exactement pourquoi elles ne l'étaient pas dans le précédent contrat, mais le fait est que nos tutelles nous ont engagées à payer sur notre budget sans nous demander notre avis, ou en l'ignorant). En ce moment même, Couperin.org demande aux futurs signataires de confirmer dans une « lettre d'intention » leur volonté de reconduire le contrat dans les mêmes termes pour un an.
La position de l'Institut Fourier
Or, depuis un mois ou deux, plusieurs laboratoires de mathématiques ont manifesté leur intention de ne pas signer ce nouveau contrat, en conformité avec la position largement partagée qui avait été exprimée dans l'« Appel ». À ce jour, j'ai connaissance de 6 bibliothèques de mathématiques avec cette intention (incluant celle de l'Institut Fourier) ; ce n'est pas encore un chiffre très élevé, mais il y a parmi elles des bibliothèques assez importantes et le poids financiers qu'elles représente dans le montant « gagé » est déjà significatif (par exemple la bibliothèque de l'Institut Fourier a un montant gagé de l'ordre de 45.000 euros par an).
La position de l'Institut Fourier va plus loin : la motion suivante a été votée en assemblée générale le 27 mai 2014 (votée à l'unanimité des présents moins un vote contre pour la dernière partie).
La position de l'Institut Fourier va plus loin : la motion suivante a été votée en assemblée générale le 27 mai 2014 (votée à l'unanimité des présents moins un vote contre pour la dernière partie).
La motion votée le 27 mai 2014
L'assemblée générale de l'Institut Fourier réunie le 27 mai 2014, soucieuse de l'avenir des publications scientifiques et du bon usage de l'argent public, réaffirme la position exprimée en 2011-2012 dans l'« appel pour des négociations équilibrées avec les éditeurs de revues scientifiques » :
- Elle demande au consortium Couperin.org de refuser dès maintenant toute clause empêchant les bibliothèques de réduire le montant gagé auprès de Springer ou imposant une augmentation des prix supérieure à l'inflation ;
- Si de telles clauses étaient incluses dans le contrat 2015, elle demande à la bibliothèque de l'Institut Fourier de ne pas signer celui-ci ;
- devant les prix excessifs des revues publiées par Springer, elle appelle les bibliothèques de mathématiques françaises à ne s'abonner pendant un an reconductible qu'aux revues permettant de réaliser un plan national de conservation partagée.
Quelques remarques conclusives
En tant que responsable scientifique de la bibliothèque de l'Institut Fourier, je vais donc proposer à la directrice de ne nous réabonner qu'à une poignée de revues publiées par Springer, ce qui devrait représenter une économie de l'ordre de 40% de notre budget d'acquisition de journaux. Cette manne va nous permettre de reprendre des acquisitions de livres qui avaient beaucoup baissé récemment, de compléter certaines collections, de faire relier des volumes de journaux qui commencent à s'abîmer dans les rayonnages, de soulager un peu le budget du laboratoire, de nous abonner à des journaux d'autres éditeurs qui nous intéressent plus, etc. Surtout, nous allons pouvoir reprendre une vraie politique documentaire (décider librement quels journaux acheter) et améliorer notre rapport de force vis-à-vis de Springer (nous serions pour une fois ravi si la prochaine négociation partait sur les bases de nos dépenses en cours !)
Je ne me fais toutefois pas trop d'illusions : il est très probable qu'à partir de 2016 les achats chez Springer soient plus centralisés et que nous perdions complètement la main (au profit soit d'une licence nationale, soit des SCD) comme c'est déjà le cas pour les journaux Elsevier. Dans l'intervalle, nous aurons mieux dépensé l'argent public, et nous aurons apporté notre pierre à un rapport de force plus favorable face aux grandes maisons d'édition.
Je ne me fais toutefois pas trop d'illusions : il est très probable qu'à partir de 2016 les achats chez Springer soient plus centralisés et que nous perdions complètement la main (au profit soit d'une licence nationale, soit des SCD) comme c'est déjà le cas pour les journaux Elsevier. Dans l'intervalle, nous aurons mieux dépensé l'argent public, et nous aurons apporté notre pierre à un rapport de force plus favorable face aux grandes maisons d'édition.